La décroissance (actu de la novlangue)
La Décroissance est un journal bimestriel édité par l’association Casseurs de pub. Le titre a le mérite d’accrocher : en effet, dans notre société où l’on s’inquiète toujours plus du faible taux de croissance, comment peut-on à l’inverse prôner la décroissance ?La croissance, par définition, est le développement progressif des êtres organisés. Son contraire, la décroissance, est donc leur diminution. L’expression « êtres organisés » peut par exemple désigner l’humanité. Est-il alors seulement humain de revendiquer l’affaiblissement (syn. Diminution) de l’humanité ? Il n’y a que des misanthropes ou des nihilistes pour souhaiter ce sort là. C’est une question de vocabulaire : on ne peut décemment pas être contre la « croissance ».
En réalité, le concept de décroissance, tel qu’il a été introduit par l’économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen (cf. La décroissance. Entropie – Ecologie – Economie, 1979), vise à contester la croissance dans le sens où le seul indice de mesure que nous en avons est aujourd’hui le PIB. Les tenants de la décroissance ne s’opposent donc pas véritablement à la « croissance », mais à la « croissance en tant que développement économique seulement ». S’en tenir à la dimension économique revient en effet à négliger tous les autres aspects d’une véritable croissance, humains et environnementaux par exemple. Par ailleurs, le PIB d’un pays peut être très élevé, mais les richesses de ce pays concentrées dans les mains de quelques personnes seulement. On ne peut donc fondamentalement être contre la croissance, mais la voir « ailleurs » que dans l’accumulation de richesses matérielles.
Mais les tenants de la décroissance ne veulent pas seulement redéfinir les mesures d’une véritable croissance, mais bien s’attaquer au développement économique, dans le sens où ils considèrent qu’il est pour une large part nuisible à l’environnement. Là où, par exemple, certains voient dans le progrès technique une possibilité de résoudre les problèmes de pollution, ils y voient la menace même de ces problèmes. Or si le développement économique nuit à l’environnement, il se nuit à lui-même, l’environnement étant son cadre naturel et nécessaire. Et détruire complètement l’environnement reviendrait à annihiler toute possibilité de « développement » – si ce n’est le développement de la misère. A l’inverse, stopper ce type de croissance économique permettrait de préserver les ressources naturelles, soit, en d’autres termes, assurer le cadre d’expression d’une véritable croissance.
Il faut noter ici que les tenants de la décroissance envisagent tout de même que renverser notre système économique sans transformer notre système social provoquerait certainement de douloureux conflits et tensions internes ; ils défendent donc également un projet de société à part entière : en parallèle à leur souhait de réduire les processus de production, ils proposent en effet de s’organiser collectivement afin que cette diminution de production ne mène pas au chaos (contrairement à ce que pourraient donc souhaiter des misanthropes ou des nihilistes).
Selon la logique des tenants de la décroissance, sans même s’interroger sur le bien-fondé de leur idée selon laquelle la croissance économique nuit nécessairement à l’environnement, on remarque donc que ce qui est aujourd’hui appelée « croissance » n’en est pas véritablement une, puisqu’elle tend à son propre désastre, tandis que ce qu’ils nomment « décroissance » est le projet d’une nouvelle société affirmant une véritable croissance. En d’autres termes, croissance signifie décroissance, et décroissance signifie croissance. Si l’on peut reconnaître que prôner la « décroissance » a le mérite d’intriguer et d’accrocher, il faut néanmoins admettre que cette rhétorique visant à désigner par chaque terme son exact contraire évoque furieusement la novlangue de Big Brother :
LA GUERRE C’EST LA PAIX
LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE C’EST LA FORCE
(George Orwell, 1984)
:-(
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