27.9.06

Le dernier sermon

Si vous haïssez le cinéma ou si vous êtes masochiste, ou si vous êtes un masochiste qui hait le cinéma, le dernier sermon du marxiste Ken Loach, Le vent se lève, est pour vous. Le dernier festival de Cannes s'est ouvert avec le Code da Vinci et s'est achevé avec la Palme d'Or pour le film de Loach sur l'IRA et l'indépendance irlandaise ; cela aurait tout aussi pu être le contraire, il y a si peu de différence entre la fantaisiste invention du lignage de Jésus et l'indigeste tambouille politique que veut nous faire avaler le fossile vivant du trotskisme cinématographique anglais. Que le plus prestigieux des festivals de cinéma commence avec un blockbuster pseudo-religieux et s'achève par un blockbuster pseudo-politique révèle seulement le caractère putréfié de la planète cinématographique.


Maintenant, le vieux fanatique de la lutte des classes nous présente l'histoire du terrorisme irlandais au travers de deux frères qui mènent, tels de nouveaux Frank et Jesse James, un groupe de l'IRA aiguillonné par la sauvagerie de l'armée britannique. Puéril et manichéen, Loach profite des conflits qu'il déforme dans ses films, depuis la Guerre d'Espagne (Land and Freedom) jusqu'à la révolution sandiniste (Carla's Song), pour sermonner avec ses délirantes apologies de la violence contre tout système politique possédant un minimum d'organisation, sans se soucier de savoir s'il s'agit de dictatures ou de régimes « apparemment » démocratique.


« Apparemment », parce que Loach n'est pas de ces petit-bourgeois qui admettent qu'un vote démocratique ou des limites constitutionnelles puissent ruiner leurs petites aspirations utopiques. Ainsi, dans une séquence du film où un membre du clergé catholique défend l'accord entre Irlandais et Britanniques, il se moque explicitement de la volonté populaire ; dans une autre, il légitime le vol et l'extorsion révolutionnaire ; un peu plus loin, il comprend et justifie l'assassinat d'innocents au nom des idéaux révolutionnaires. Par ailleurs, la domination britannique est décrite comme si la Gestapo et les SS furent une invention de Churchill, ce qui donne à Loach l'occasion de libérer ses plus bas instincts sadiques et pornographiques dans une séance de torture convertie en pur spectacle. Et d'un autre côté, les Irlandais, réduits au rôle de fantoches maladroits et sentimentaux - comme le veut le lieu commun - se révoltent, certes, mais Loach ne tarde pas a détourner ce conflit sur son terrain : la lutte des classes contre l'empire capitaliste.


La critique « engagée » veut nous faire croire que, malgré la récompense cannoise, Ken Loach n'est rien moins que persécuté par la droite. Rien de plus faux, bien entendu. Dans les Cahiers du Cinéma - qui ne sont pas précisément un bastion de Le Pen -, on indique bien qu'un film qui ne laisse qu'à ses personnages comme seul choix être une crapule ou un martyr est forcément médiocre, en précisant que le typique endoctrinement loachien, sans être honteux, n'a rien de passionnant.


Le mépris de Loach pour les procédures démocratiques, la justification de la violence contre tout régime politique possible, le martyrologe et la sanctification comme uniques réponses humaines possibles correspondent à la pauvreté formelle d'une direction insipide, à la limite de la paralysie, d'acteurs, qui sont plus des marionnettes que des êtres humains, embrigadés dans la réalisation de pièges sans talent. Les séquences répétitives et explicatives, mises au service de l'idéologie, mais superflues, torpillent le développement d'un scénario invraisemblable qui fait se succéder les clichés académiques.

Comme bon marxiste, Loach pense que le cinéma ne doit pas se contenter de rester fidèle à la réalité, mais qu'il doit contribuer à la transformer, et nie toute comparaison avec Leni Riefenstahl. Si seulement il essayait de se mesurer à la directrice de cinéma préférée d'Hitler ! Plastiquement, il y gagnerait en force et originalité dans le traitement des images, dont l'absence n'est en rien compensée par des discours de tchékiste. Et, tout comme l'Allemande, il pourrait (au moins essayer) de transmuter les brutales et simples idées nazies dans des personnages cinématographiques complexes et puissants, au lieu de faire ce qu'il fait depuis toujours : simplifier les relations sociales dans un Disneyland totalitaire.