9.11.06

The Wall

La chute du Mur de Berlin, dont on fête l'anniversaire cette nuit, n'est pas passé à l'histoire comme le triomphe des bananes, ce qu'il fut pourtant. La première chose que firent les ossies lorsqu'ils purent fouler la fabuleuse terra incognita qu'était Berlin-Ouest fut d'entrer dans les supermarchés et d'acheter à manger. Et ils revenaient à la maison heureux et chargés, plus particulièrement de régimes de bananes. Fruit courant et banal pour nous, le nec plus ultra de l'exotisme pour eux. Certains même n'en avaient plus vu depuis la construction du Mur, en 1961. La banane, les aliments, la réalité triomphèrent alors sur l'idéologie qui provoquait et justifiait la pénurie. Et les Berlinois orientaux passèrent enchantés du royaume de la nécessité au royaume de la liberté, bien que dans la direction contraire à celle prophétisée par Marx.

Mais, pendant que le peuple rattrapait quarante ans de privations, d'enfermement et de contrôle total, ils ne furent pas peu les intellectuels qui observèrent le spectacle avec dégoût. Du côté occidental, les « progressistes » se divisèrent entre ceux qui se sentirent trahis par ces gens, dont le désir impudique de manger et vivre mieux mettait en évidence la honte du socialisme, et ceux qui trouvèrent un motif supplémentaire pour mépriser ceux de l'Est, qui d'abord s'étaient soumis aux vopos et maintenant se disputaient pour acheter des bananes. La gauche « alternative » - qui rejetait tant le régime socialiste de la RDA que la démocratie libérale - finissait comme la traditionnelle : en rejetant la faute sur le peuple lui-même. Comme c'est toujours le cas lorsque ce dernier ne se comporte pas comme le désirent ses « libérateurs » et ses « avant-gardes » - celles qui terminent toujours pour n'être plus que ses « gardes » -.

À l'Est même, beaucoup qui avaient compris le grand mensonge du socialisme eurent honte de la conduite de leurs compatriotes. Quelle image ! Faire la queue pour recevoir les marks offerts par le gouvernement occidental, perdre le souffle à faire ses petites courses. Quelle honte ! Mais le peuple n'a pas le sens du ridicule. Il acheta, il musarda, il profita : au cas où leurs dirigeants péteraient les plombs et fermeraient à nouveau la barrière. C'est alors que la partie la plus célèbre et célébrée de l'intelligentsia, avec Günther Grass comme tête visible, donna à ce moment la pleine mesure de son envergure morale et de sa capacité d'analyse : zéro.

On aura bien dit mille fois que la chute du Mur de Berlin symbolisa l'échec du communisme. Mais ce qu'a dit Revel est bien plus proche de la réalité : ce fut la construction du Mur le symbole de l'échec du socialisme réel. Si le système se voyait obligé à emprisonner ceux qui s'y trouvaient c'était parce que son degré de décomposition atteignait son stade terminal. Mais seulement une minorité comprit le message en Occident. Si minoritaire que, pendant les décennies qui suivirent, l'expansion des idéologies totalitaires socialistes et révolutionnaires atteignirent leur zénith en Europe et dans le reste du monde. Et cela grâce, en bonne partie, aux intellectuels et aux « gens de culture », aux Sartre, Brecht, Picasso, etc.

Tandis qu'en Europe les différents groupes marxistes gonflaient leurs rangs de jeunes qui se rêvaient rebelles, alors qu'ils n'étaient que les laquais d'un système d'esclavage, les ossies jouaient leur peau en tentant d'échapper au Pays des Merveilles. Le 5 février 1989, neuf mois avant la fin du Mur, tombait Chris Gueffroy, abattu, assassiné, le dernier fugitif, un Berlinois de 20 ans. Il mourut pour quelque chose d'important : la liberté incarnée dans un régime de bananes. C'est cela, chose si vulgaire, qui file des allergies à l'enfant de bonne famille progressiste, à ces « gens de culture » qui seulement se préoccupent des nécessiteux seulement si l'on peut les jeter à la face du libéralisme.

1 commentaires

Blogger Libertaryan a écrit...
Très bon, les avant-gardes qui se muent en simples gardes.
à 4:00 PM
 

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