6.8.05

Brèves Réflexions sur Hiroshima

Soixante ans après cet événement tragique, beaucoup de personnes hésitent à se prononcer sur la légitimité ou non de la décision américaine de lâcher la bombe A sur cette ville : après tout, entend-on couramment, le bombardement d’Hiroshima (et de Nagasaki) n’a-t-il pas permis d’éviter de sacrifier des vies supplémentaires ? Mais, outre que les autorités japonaises n’étaient peut-être pas si désireuses que cela de continuer le combat (des négociations diplomatiques étaient en cours), l’assassinat de plus d’une centaine de milliers de gens perd-il son caractère criminel parce que, sans lui, la guerre entre les USA et le Japon aurait "peut-être" perduré ? C’est considérer que l’emploi de la bombe atomique était l’unique possibilité de mettre un terme au conflit. De même, la justification selon laquelle, le Japon ayant répondu négativement, le 26 juillet, à l’exigence américaine d’une "reddition sans condition" paraît peu crédible, car la décision de larguer la bombe aurait été prise dès le 25 juillet.
Ensuite, et dans le même ordre d’idées, des personnes de bonne foi prétendent qu’Hiroshima témoigne de la victoire de la démocratie sur la barbarie militariste et totalitaire. Il est évident que le régime japonais (avec ses marches de la mort, ses tortures et expériences pseudo scientifiques infligées aux prisonniers de guerre, les massacres sadiques contre les Chinois et les Coréens, et autres abominations) était haïssable. Mais les civils habitant dans cette ville étaient-ils comptables des monstruosités commises par leur gouvernement tyrannique et leur armée féroce ? Sans oublier les 27 000 Coréens que les autorités avaient envoyés de force comme main d'oeuvre à Hiroshima ! Convenons que l’usage de l’arme atomique contre des innocents peut difficilement passer pour un acte civilisé et raisonnable...

Il m’est apparu que la question du relativisme est au cœur de cette discussion. En effet, les "bons" démocrates "libéraux" considèrent que la victoire de la Démocratie (qui, pourtant, n’a que peu à voir avec la liberté individuelle) justifie n’importe quelle action guerrière. Aujourd’hui, les idéologues en vogue à droite (les néoconservateurs américains, et leurs missionnaires français : Revel, Roucaute, Glucksmann, Millière, etc.) considèrent qu’est relativiste toute personne qui critique les mauvaises actions des gouvernements démocratiques, de sorte qu’il les affaiblirait - l’accusation de "traîtrise à la cause de l’Occident et du monde libre" n’est évidemment jamais loin. Or, le problème n’est pas là ; la couleur idéologique de la bombe nucléaire et la motivation de ceux qui la larguent constituent le cadet des soucis des victimes qu’elle provoque. Un crime ne devient pas un acte bienveillant parce que ceux qui l’ont initié ont été élus démocratiquement. Les relativistes, vous l’aurez compris, sont ceux qui dénient le Droit - et en particulier le premier droit naturel : le droit de vivre - au nom des intérêts soi-disant supérieurs des gouvernements ayant leur assentiment (voir, aujourd’hui, la façon dont certains défendent le "droit démocratique" de torturer).

La leçon d’ Hiroshima est qu’une démocratie, en s’abritant derrière le paravent des "bonnes intentions", peut également agir comme le pire régime despotique si tel est le bon plaisir de ses gouvernants.

11 commentaires

Blogger RonnieHayek a écrit...
Merci, cher Copeau, j'en suis très flatté.
à 10:20 AM
 
Blogger Constantin a écrit...
Ronnie, félicitations pour cet article magistral sur la malfaisance étatiste et la mauvaise foi de certains intellectuels de droite.

A propos de bombe atomique, je me rappelle d'une chronique parue il y a deux ans sur l'empire de Constantin à l'occasion de la mort de Teller, un des inventeurs de la bombe : http://constantinia.blogspot.com/2003/09/dcs-dun-malfaisant.html
à 11:16 AM
 
Blogger RonnieHayek a écrit...
Merci Constantin !

Je me souviens bien de ton article qui m'avait aussi beaucoup plu à l'époque.
à 12:21 PM
 
Blogger Olivier L. a écrit...
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
à 3:38 PM
 
Blogger Olivier L. a écrit...
Voir également:

Moral Relativism Redux (Catallarchy, 08/08/2005)
à 3:40 PM
 
Blogger Harald a écrit...
Dire que la bombe était le seul moyen de mettre enfin une conclusion rapide à cette guerre est un argument on ne peut plus léger. La guerre était de toute façon gagnée à plus ou moins long terme, mais quel aurait été le prix à payer pour reconquérir une à une toutes les îles où étaient basées des forces japonaises le dos au mur et prêtes au sacrifice ?

Il est clair que la bombe est une horreur, mais je ne puis m'empêcher de me demander quel aurait été mon choix si j'avais été à la place du prez à l'époque. Continuer la guerre pour épargner la vie de civils japonais ou bien bombarder et ainsi épargner la vie de dizaines voire de centaines de milliers de mes compatriotes sous les armes ?

Pas simple.
à 3:58 PM
 
Blogger RonnieHayek a écrit...
"A chaque fois que j’entends le refrain qui consiste à dire (et ce n’est pas forcément à RonnieHayek que je m’adresse) que les E.U. auraient lancé ces bombes afin d’effectuer un retour sur investissement, ou que sais-je encore, j’en suis navré. Malheureusement ce refrain qui a plus de dix ans semble s’imposer. Il est selon moi l’expression d’un anti-américanisme de plus en plus violent."

=> Ne confondez pas anti-américanisme et critique de la politique gouvernementale américaine. De même, parce que nous sommes unanimes ici à éreinter les interventions des gouvernements français ou belges dans nos vies, sommes-nous anti-français ou anti-belges ?


"Je viens de lire l’article correspondant au lien « la décision de larguer la bombe aurait été prise dès le 25 juillet ». Le passage concernant l’article du Nel Obs passe les bornes mais je préfère leur laisser l’occasion de réparer eux-mêmes en partie… http://permanent.nouvelobs.com/etranger/20050805.OBS5581.html
Le journal rétablit quelques vérités dans cet entretien.
Un ajout : « Washington aurait pu (…) attendre jusqu'au 15 août » Les armées de Staline étaient entrées en Mandchourie (occupée par les Japonais) bien avant."

=> Je ne vois pas le rapport avec mon post: l'année dernière, j'avais d'ailleurs indiqué que l'armée soviétique avait envahi la Mandchourie le jour même du bombardemetn de Nagasaki: le 9 août.
à 7:40 PM
 
Blogger Gil a écrit...
Pffff... c'est toujours pareil; comme pour l'Irak, je trouve que vous faites bon marché des millions de vies probablement épargnées;
de plus, ce n'était pas démocraties, mais démocraties libérales (avec des constitutions inspirées par le droit libéral), contre totalitarismes. Le président US n'était pas Staline; il était dans un régime en grande partie lbéral qui fait qu'il devait prendre en compte l'opinion publique, la conception du droit dans son pays, etc.
Maintenant, qu'il y ait eu contamination sur les Alliés du nihilisme totalitaire, en particulier dans la doctrine des bombardements, c'est sûr, par le peu de cas des vies civiles que cela impliquait, quoiqu'on pense du rôle du "peuple" allemand, ou japonais (cf. P.Johnson: "Une Histoire du monde contemporain...").
Mais Hiroshima & Ngasaki ont fait moins de morts que bien d'autres bombardements "conventionnels", & on ne peut mettre sur le même plan les Commandements militaires Alliés et ceux de l'Axe; là il s'agit vraiment de relativisme que de le faire: en faire baver aux civils faisait partie de la politique japonaise (ne parlons pas de l'allemande ou de la soviétique); or on nous ressort toujours Hiroshima, comme si c'était tombé du ciel (hem...), & on ne commémore jamais les massacres commis par les Japonais (eux-mêmes semblent faire l'impasse et s'auto-victimiser)
à 1:02 AM
 
Blogger Gil a écrit...
Je trouve d'ailleurs l'article du Temps très proche d'un article de Télérama que j'ai lu il y a quelques temps, d'un ignorant arrogant qui ne citait aucune source, affirmait péremptoirement, etc
L'article semble biaisé dès le départ, ne parlant que des victimes militaires US prévues, et pas des japs, comme s'il était d'emblée entendu que le Commandement US s'en foutait... De plus, 31000 seulement pour tout le Japon, quand on sait ce qu'a coûté le moindre ilôt aus Américains, ça me paraît un peu gros...
on mentionne aussi le projet de bombarder une zone inhabitée, mais pas pourquoi cela a été écarté, comme si Truman était un impulsif assoifé de sang; et bien sûr, on ne nous dit pas qu'Hiroshima avait été préalablement bombardée... de tracts, enjoignant à la population de fiche le camp, conseil peu suivi.
Bref, il se base sur les travaux d'un seul historien, dont le but semble de décharger l'ignoble "junte" militaire japonaise pour accabler les Amerloques; pourquoi ne pas passer à l'étape suivante, et laver Adolph de tous soupçons (tiens d'ailleurs cela a été fait, avec en invités... les Amerloques, pour n'avoir pas bombardé, cette fois, les camps de la mort etc).
& à mon avis, vous nourrissez bel & bien l'anti-américanisme ambiant, en faisant passer les USA pour un pays totalitaire, sans tradition libérale, pour lequel tout serait possible, avec une population sans conscience libérale, décérébrée (car c'est bien ce qu'impllique ce genre de raisonnement).
à 1:26 AM
 
Blogger Gil a écrit...
D'aileurs (& après j'arrête), les idées de cet article & de celui de Télérama, qui se veulent démystificateurs, colportent en gros tout ce que pense en fait le Français de base anti-américain, et l'Européen même, pour lesquels il est clair que les Amerloques n'auraient jamais pu résister à balancer leur grosse bombe virile; et même une deuxième... tiens, et que faisait la junte militaire, entre les deux?... & pourquoi Truman, qui n'était pas un admirateur de Staline, comme Roosevelt, ne lui en a-t-il pas balancé une directement sur le coin du nez, s'il s'agissait de l'impressioner, lui, si c'était si facile pour un prez US, avec déboulée de Patton & cavalerie??
Bonne nuit.
à 1:39 AM
 
Blogger François Monti a écrit...
Excellent article, comme d'hab'.

Juste un commentaire sur l'éternel débat au sujet de la nécessité de lancer la bomber afin de terminer la guerre au plus vite ou non.
Il n'y a absolument aucune preuve que le Japon allait de toute façon capituler. Tout comme il n'y a aucune preuve qu'il allait résister pendant des mois.
Pour le reste, chapeau.

Taisei
à 9:34 PM
 

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