Big Banker ?
Les hommes de l’Etat aiment à poser des verrous pour dissimuler des informations qui les desserviraient (la trop fameuse raison d’Etat), mais ils n’hésitent jamais à se faire serruriers pour leur propre profit quand il s’agit de pénétrer dans la vie privée des individus. Les révélations sur la surveillance des flux bancaires viennent encore de le confirmer, à défaut de nous surprendre. Pris la main dans le sac, le gouvernement US et ses complices invoquent la nécessité de la "lutte anti-terroriste". Car, bien entendu, pour combattre une poignée d’illuminés, un tel dispositif d’espionnage est présenté comme absolument inévitable et même payant. C’est bien connu : les terroristes islamistes - qui se comptent évidemment par millions, c’est notoire - font massivement transiter l’argent vers la Ben Laden Inc., en inscrivant en guise de communication "Allah Akbar !". Cerise sur le gâteau, remettre en cause ou simplement douter de l’efficacité de ces méthodes dignes de régimes totalitaires vous désigne à la vindicte populaire comme un potentiel ennemi du monde libre...
J’ai écrit "Le gouvernement US et ses complices". En effet, outre la SWIFT (Society of Worldwide Interbank Financial Telecommunication), dont le siège est à Bruxelles et qui a livré des informations aux autorités américaines, la Banque nationale belge a reconnu avoir été informée de la transmission de ces données, avant d’en faire part au ministère des Finances. Mais elle aurait transmis ce renseignement de "manière informelle", l’administration précisant même : "Formellement, nous ne sommes pas au courant". De son côté, Verhofstadt, le Premier ministre belge, déclare qu’il l’a seulement appris en lisant la presse américaine de ce vendredi - alors qu’en plus du sinistre des Finances Reynders, Onkelinx (sinistrose de la Justice) admet avoir été avertie. Bel exercice de funambulisme hypocrite ! À tout le moins, le lecteur aura noté l’absence de communication au sein de l’exécutif belge, d’habitude si prompt à tout miser sur celle-ci. Le mythe onirique des gouvernants ayant pour vocation à l'omniscience en prend un sérieux coup - et ce n’est pas plus mal !
Pour revenir au sujet proprement dit, chacun de nous aura probablement fait l’expérience du caractère de plus en plus tatillon des agences bancaires pour la moindre opération exécutée au guichet : photocopie obligatoire de la carte d’identité (loi votée en Belgique le 10 août 1998, donc bien avant les attentats du 11/9) et autres présentations de documents officiels lorsqu’il faut verser un simple chèque. Tout ceci, bien sûr, afin de veiller à la sécurité des transactions... La confidentialité des données étant, de surcroît, garantie la main sur le cœur. Sans compter aussi que l’arrivée de la carte d’identité électronique risque de nous diriger davantage encore vers un monde à côté duquel l’univers de "Brazil" ou de "SOS Bonheur" ressemblerait à une comédie musicale avec Fred Astaire ou Gene Kelly. Nul doute que la transparence de l’information profitera là aussi aux hommes de l’Etat, en dépit de leurs dénégations.
L’argument selon lequel de telles mesures permettraient d’arrêter les malfaiteurs les plus dangereux ne tient pas la route. Car, à côté de l’arrestation de quelques seconds couteaux du crime organisé ou du terrorisme, la plupart des personnes soumises aux tracas réglementaires et aux investigations sur leur vie privée sont des individus inoffensifs et innocents. La plupart des gouvernements occidentaux ont ainsi décidé que tout dépôt supérieur à un certain volume d’argent, variable selon les pays, devait être automatiquement signalé aux autorités. Ce ne sont évidemment pas Gros Tony ni le mollah Omar (Simpson) qui vont se risquer à déposer une telle somme ; ils sont suffisamment au fait de la loi pour arriver à la contourner. En revanche, quelqu’un débarquant d’un pays où l’on a encore l’habitude de verser en liquide des montants élevés auprès d’une banque sera fort probablement soupçonné de financer le cartel de Medellin ou le Djihad islamique. Comme toujours, les statolâtres vous répliqueront alors que le peu de portée de leurs initiatives résulte d’un manque de moyens législatifs et financiers. Et le bon peuple d’acquiescer ovinement en commentant : "Dans le fond, c’est pour notre bien." Hé oui, c’est tout bêtement comme cela que l’engrenage de la tyrannie poursuit sa lente évolution sans craindre la rouille.
Un autre élément que l’on oublie parfois est que la possession de ces données par des organismes privés ou publics peut très aisément être partagée contre monnaie sonnante et trébuchante. Dans un excellent article sur la surveillance bancaire, Brad Jensen relate ainsi le cas d’un employé californien, préposé à la collecte des données, qui les avait grassement vendues à des escrocs en quête d’usurpations d’identité. L’auteur précise que la moitié des vols de données confidentielles ne proviennent pas de pirates informatiques, mais de bureaucrates ayant directement accès aux informations confidentielles.
Enfin, d’un point de vue moral, la pression faite sur les organismes bancaires pour se livrer à la délation de faits que le Prince aura décrétés suspects aboutit à une perte de confiance chez les clients. L’État demande aux banques de fliquer leur clientèle (comme si c’était le boulot d’une entreprise), puis se réserve le beau rôle en légiférant pour censément combattre des dérives dont il est lui-même l’auteur. L’ironie du sort étant que les clients placeront leurs billes ailleurs, en particulier dans les quelques "paradis fiscaux" subsistants que nos adeptes du fisc-fucking n’ont de cesse de diaboliser et auxquels ils veulent faire rendre gorge.
Car, ne l’oublions pas, parmi les raisons de ces contrôles de plus en plus féroces figure la rage des politiciens et de leurs affidés de savoir qu’il reste encore du pognon qu’ils n’ont pas encore captés en vue de le "redistribuer" à leurs clients et de garnir au passage leurs comptes connus... voire, parfois, cachés ! L’État poussera-t-il un jour la lutte contre le crime organisé jusqu'à se traquer lui-même ? La réponse est dans la question...
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