Surplus: pénurie d'alternatives?
We cannot let the terrorists achieve the objective of frightening our nation to the point where we don't -- where we don't conduct business, where people don't shop.
George W. Bush, le 11 octobre 2001.
C'est sur cet extrait choc d'un discours[1] de Georges Bush que démarre presque Surplus[2], un documentaire suédois de 2003 dont le thème -la surconsommation dans nos sociétés développées- est bien souligné par le second titre: "Terrorized Into Being Consumers".
Documentaire ne semble pas être le terme adéquat. Dans la forme, il s'agit plutôt d'un clip entraînant de 50 minutes, dans lequel se succèdent à un rythme élevé images chocs, brèves interview ou extraits de discours, le tout sur fond de musique plutôt électronique. La musique est omniprésente, mais le montage audio fait aussi appel à diverses techniques: répétition d'un ou de plusieurs mots, faux doublage, découpage et réassemblage de mots pour former de nouvelles phrases, etc. Sur le fond, Surplus se contente généralement de stimuler les sentiments du spectateur, en restant en surface et en servant un discours confus, parfois même paradoxal. Le résultat final, ne peut selon moi qu'abandonner toute prétention documentaire voire simplement informative (oui je sais je suis dur, mais après tout il n'y a rien de mal à réaliser un clip impressionniste de 50 minutes).
La première partie présente un certain "système" comme responsable de tous les maux de la Terre. Sur fond d'images éculées de rassemblement policier en marge d'un sommet quelconque (Seattle, Gênes,...), une voix off résume en un mélange tout aussi attendu tous les maux de notre monde: guerres, pétrole, uniformisation des goûts et des produits, surconsommation, dette, pauvreté, sous-développement,... Le constat est tellement large qu'il impute tous les problèmes du monde au "système" et en devient presque une lapalissade. Néanmoins, cette introduction, que je trouve simpliste et réductrice nous fait immédiatement comprendre deux choses: le lieu idéologique d'où l'auteur parle et à qui il s'adresse. A mort le capitalisme et l'ultralibéralisme. Ou bien n'est-ce qu'une apparence?
La deuxième partie aborde un peu plus précisément le thème de la surconsommation. Le réalisateur pointe quelques exemples de consommation excessive et de gaspillage, enchaînant images de chariots de supermarché et de décharges. Il égratigne aussi le discours choquant (citation de George Bush au début de ce billet) ou simplement ambigu des Etats, de leur politique de relance de la consommation et de l'apologie de la croissance. Mais là encore, le capitalisme, ou tout au moins le libéralisme, aurait mérité une défense en bonne et due forme. La croissance comme credo (je croîs donc je crois?) et l'illusion de la relance étatique ne sont pas des chevaux de bataille libéraux, bien au contraire[3].
La situation s'aggrave cependant lorsque le réalisateur fait mine de présenter une alternative. L'analyse va rarement jusqu'à proposer des solutions, mais ce qui se rapproche le plus d'une thèse à opposer à la croissance, c'est le discours de John Zerzan[4], présenté par bribes tout au long du documentaire.
Le premier aperçu de la pensée de Zerzan concerne la violence. Revenant sur les affrontements et le vandalisme ayant eu lieu en marge des mouvements "alters", on voit John Zerzan soutenir que les destructions de propriétés privées sont un passage légitime voire obligé pour changer le système. On est loin d'un gentil discours démocratique: il s'agit bien de tout détruire, puisqu'on ne peut se faire entendre d'une autre manière.
Tant sur le fond que sur le plan de la stratégie, un discours légitimant aussi rapidement la violence a toutes les chances de ne convaincre personne, pas même dans les mouvements altermondialistes qui soutiennent généralement l'idéal démocratique. Cela donne d'ailleurs lieu a une séquence aussi paradoxale qu'ironique: un extrait de discours dans lequel Berlusconi lui-même relativise les violences de Gênes en les attribuant à une minorité des manifestants présents.
A noter qu'il n'y a souvent qu'un pas entre légitimer la violence matérielle et la violence contre les personnes, comme en témoigne la relation et la position ambiguë de John Zerzan vis-à-vis d'Unabomber[5].
Le deuxième aperçu des thèses de Zerzan concerne le coeur de sa pensé, l'anarcho-primitivisme[6]. A nouveau, en choisissant de mettre en exergue un discours extrême, le réalisateur semble se moquer de nous. On voit tout d'abord John Zerzan nous vanter les mérites de la pré antiquité, lorsque "les hommes ont vécu en paix pendant deux millions d'années". Comme si le scepticisme provoqué par une telle affirmation ne suffisait pas, on nous montre alors un drôle d'homme des cavernes faisant rouler une pierre sur un bout de bois... Voilà qui achève d'enlever tout crédit à cette option de décroissance absolue.
N'y a t il point de salut entre ces deux extrêmes? Le film nous entraîne brièvement à Cuba. Mais là encore, après une rapide présentation de l'idéal socialiste, nous découvrons la carte de rationnement (ne pouvons-nous donc pas volontairement consommer moins?) et une surréaliste marque unique de dentifrice. Marque, c'est beaucoup dire puisque le tube est entièrement blanc, sans aucune indication. "Tout le monde sait ce que c'est, plus besoin de l'écrire dessus!" nous dit une vieille cubaine malicieuse (son sourire nous faisant douter de l'efficacité de ce dentifrice unique). La séquence s'achève sur un rap construit avec des extraits d'interviews de cubains sur leur régime alimentaire: rice & beans, rice & beans... beans & rice...
Hormis les astucieux artifices de montage et l'utilisation judicieuse de la musique, que conclure? Si la première moitié du film, rapide et entraînante séduira un certain camp, elle pêche cependant par son simplisme et sa banalité. La seconde moitié échoue à nous proposer des alternatives convaincantes. Elle le fait cependant non sans humour et avec un tel second degré que je soupçonne le réalisateur de Surplus d'avoir voulu tendre un piège aux adeptes de la pensée express. Conclusion: A consommer pour vous faire votre opinion...
In the 1960's there was a young man that graduated from the University of Michigan. Did some brilliant work in mathematics. Specifically bounded harmonic functions. Then he went on to Berkeley. He was assistant professor. Showed amazing potential. Then he moved to Montana, and blew the competition away.
Gerard: Yeah, so who was he?
Sean: Ted Kaczynski.
Gerard: Haven't heard of him.
Sean: Hey, Timmy!
Tim: Yo.
Sean: Who's Ted Kaczynski?
Tim: Unabomber.[7]
[1] George W. Bush, discours du 11 octobre 2001,White House (EN)
[2] Surplus: Terrorized Into Being Consumers, Wikipedia (EN)
[3] La vieille lubie de la relance de la consommation, Jean-Louis Caccomo, le Québécois Libre (FR)
[4] John Zerzan, Wikipedia (EN)
[5] John Zerzan and the Unabomber, Wikipedia (EN)
[6] Anarcho-primitivism, Wikipedia (EN)
[7] Good Will Hunting, IMDB (EN)
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