Mais où est Mao?
"En février 1948, le dirigeant communiste Klement Gottwald se mit au balcon d'un palais baroque de Prague pour haranguer les centaines de milliers de citoyens massés sur la place de la Vieille Ville. [...] Il neigeait, il faisait froid et Gottwald était nu-tête. Clementis, plein de sollicitude, a enlevé sa toque de fourrure et l'a posée sur la tête de Gottwald. La section de propagande a reproduit à des centaines de milliers d'exemplaires la photographie du balcon d'où Gottwald, coiffé d'une toque de fourrure et entouré de ses camarades, parle au peuple. [...] Quatre ans plus tard, Clementis fut accusé de trahison et pendu. La section de propagande le fit immédiatement disparaître de l'Histoire et, bien entendu, de toutes les photographies. Depuis, Gottwald est seul sur le balcon. Là où il y avait Clementis, il n'y a plus que le mur vide du palais. De Clementis, il n'est resté que la toque de fourrure sur la tête de Gottwald."
Milan Kundera, Livre du rire et de l'oubli.
Pardonnez-moi cette longue citation mais elle m'a semblé adéquate pour commencer ce billet. Les élèves chinois, lorsqu'ils ouvriront leurs manuels d'histoire cet automne, seront confrontés à un contenu bien différent de celui de l'an dernier. La raison? Le gouvernement chinois a entrepris une modernisation sans précédent des manuels scolaires consacrés à l'histoire de l'empire, comme le relate cet article du NY Times: Where’s Mao? Chinese Revise History Books
A première vue, on peut imaginer qu'une actualisation des contenus est la bienvenue, en ouvrant la porte à des termes comme croissance économique, innovation, commerce international, respect des cultures qui avaient du mal à trouver leur chemin au milieu de la propagande marxiste et de la construction d'une identité nationale forte.
Mais on déchante bien vite. D'abord en constatant que certains points sensibles sont abordés de la même manière que dans les anciens ouvrages:
The [...] textbook revisions do not address many domestic and foreign concerns about the biased way Chinese schools teach recent history. Like the old textbooks, for example, the new ones play down historic errors or atrocities like the Great Leap Forward, the Cultural Revolution and the army crackdown on peaceful pro-democracy demonstrators in 1989.
Ensuite en constatant que les experts que le gouvernement a dû mandater pour établir les nouveaux contenus s'en sont donnés à coeur joie: ils ont réduit à leur portion congrue les références à certains évènements pouvant de près ou de loin susciter la critique du pouvoir central, que ce soit dans une perspective historique ou plus actuelle:
Socialism has been reduced to a single, short chapter in the senior high school history course. Chinese Communism before the economic reform that began in 1979 is covered in a sentence. The text mentions Mao only once — in a chapter on etiquette.
[...] The new textbook leaves out some milestones of ancient history. Shanghai students will no longer learn that Qin Shihuang, who unified the country and became China’s first emperor, ordered a campaign to burn books and kill scholars, to wipe out intellectual resistance to his rule. The text bypasses well-known rebellions and coups that shook or toppled the Zhou, Sui, Tang and Ming dynasties.
Et tout cela dans un pays où la liberté d'expression demeure une formule creuse, comme en atteste le destin d'un journal coupable d'avoir publié un article critiquant ce révisionnisme scolaire:
Yuan Weishi, wrote an essay that criticized Chinese textbooks for whitewashing the savagery of the Boxer Rebellion [...] In response, the popular newspaper supplement Freezing Point, which carried his essay, was temporarily shut down and its editors were fired. When it reopened, Freezing Point ran an essay that rebuked Mr. Yuan, a warning that many historical topics remained too delicate to discuss in the popular media.
Dans sa lente et hypothétique marche vers l'avenir, la Chine développe une forme de capitalisme (c'est un autre débat), c'est certain. Mais elle continue de montrer le visage totalitaire d'un régime, qui, s'il renie une partie de son passé communiste, le fait pour renforcer son emprise sur sa population et en usant de méthodes qui ne trompent personne sur sa vraie nature.
"La lutte de l'homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l'oubli."
Milan Kundera.
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