Les cultureux et le totalitarisme
La chaîne Arte diffusait mercredi soir un documentaire consacré à la mégalomanie architecturale de Hitler. De manière directe, les auteurs du film ont montré que, contrairement à une légende qui a encore la vie dure, le dictateur national-socialiste avait une conception "moderniste" de l’architecture.
En effet, quoi de plus semblable au Bauhaus, obsédé par la pureté et la netteté des lignes, que les bâtiments construits sous le IIIe Reich ? Du reste, un historien de l’art fit un sort au canard selon lequel les membres de cette école architecturale quittèrent l’Allemagne pour des raisons politiques. En réalité, Walter Gropius et Mies van der Rohe posèrent leur candidature à un concours organisé par le régime nazi destiné à réaliser un musée de l’art allemand (difficile de faire moins art officiel...), mais furent offusqués de ne pas voir leurs travaux choisis et partirent donc aux Etats-Unis. Vu que le Bauhaus était imprégné de socialisme, il ne faut, du reste, pas s’étonner de son cousinage avec les travaux exécutés plus tard par le national-socialiste Albert Speer.
J’ai noté cependant que les auteurs du documentaire tenaient absolument à opposer les projets architecturaux nationaux-socialistes et soviétiques - dans le but probable de nier toute ressemblance entre les deux régimes criminels. Si les premiers étaient très justement décrits comme autant de tabula rasa faisant fi du passé bourgeois de Berlin (le nihilisme et le constructivisme allant évidemment de pair), les seconds étaient, sans rire, dépeints comme une heureuse fusion de l’histoire architecturale mondiale... Le plus effarant fut que le réalisateur crut étayer de manière convaincante cette thèse en nous montrant l’extrait d’un film soviétique de 1938, dédié à la gloire du bolchevisme en art, et dans lequel le projet du futur siège du PCUS ressemblait à s’y méprendre aux monuments érigés en Allemagne nazie ! Ce déni de gemellité esthético-politique est d’autant plus invraisemblable que, quelques instants plus tôt, le reportage établissait une très nette comparaison entre les conceptions hitlériennes et celles de Le Corbusier, architecte notoirement communiste.
Je retiendrai surtout une remarque fugace d’un des intervenants. Celui-ci notait que les artistes avaient eu les mains bien plus libres sous le régime national-socialiste que dans le monde capitaliste. Notez bien que cette phrase semblait prononcée comme un réquisitoire antilibéral. En vérité, je crois qu’elle révèle surtout un fait avéré, peu flatteur pour le monde intellectuel : la plupart de ses membres sont des opposant rabiques au capitalisme et préfèrent se laisser tenter par les sirènes totalitaires. En effet, le marché les contraint à offrir au public ce que ce dernier est prêt à lui acheter, donc l’artiste doit parfois ravaler son orgueil créateur s’il souhaite vendre ses oeuvres. Le refus virulent et toujours bien présent, hélas, de la "marchandisation de la culture" ne témoigne pas d’autre chose : nombre d’intellectuels ont pour rêve plus ou moins avoué d’obliger le grand nombre à s’extasier devant ses produits plus ou moins inspirés. Pour ce faire, ils sont prêts à prêter allégeance au premier tyran qui flattera leur vanité. En présumant, par intérêt bassement matériel, que l’Etat serait le meilleur garant du "bon goût" (au motif qu’il subventionne leur supposé génie visionnaire), ils se montrent comme autant de despotes en puissance. Ils croient duper leur monde en pleurnichant contre la prétendue "dictature du marché", à l’instar de ce peintre raté qu’était Hitler, mais ils prouvent de la sorte qu’ils sont de la véritable graine de tyran.
5 commentaires
Et du reste, Ronnie et sa mémoire phénoménale pourra nous aider, j'ai été sensibilisé à cette propension des artistes à chercher à se retrouver sous une ombrelle étatiste protectrice. C'est un livre de Guy Sorman, je ne sais plus lequel (Capitalisme, suite et fins peut-être) qui exposait cette capacité des artistes de l'ancien bloc de l'Est à rejeter le capitalisme, quelques mois après la chute du mur de Berlin.
La "culture" est le domaine où les passions humaines sont les plus féroces, et on l'observe jour après jour dans toutes les tendances, qu'elles soient gauchisantes, ou droitisantes.
Vive la culture individuelle!
Enfin....individuelle....faut voir, je sais que l'auteur de cet article, comme moi, apprécie les bons vieux nanars cinématographiques, et appricée également les chroniques et livres de Francois Forrestier.... :)
Tiens Ronnie, je te conseille l'excellentissime Death Race 2000, pour lequel je compte bien publier une chronique. David Carradine et Sylvester Stallone y produisent le meilleur de leur art... un film de dingue!
J'ai essayé de lui dire que ce que l'on appele "la valeur" d'un bien, c'est simplement la confrontation d'une offre et d'une demande, le résultat a été absolument prévisible. Celui-ci s'est offusqu" du fait que le quidam de base, l'acheteur, pouvait être suffisamment éclairé pour juger de la qualité d'une oeuvre d'art.
Je prie, chaque jour que Dieu fait, pour le salut de ma compagne : celle-ci s'occupe de troupes de comédiens dans le domaine du spectacle vivant, j'ai pu rencontrer quelques uns de ces phénomènes, de ces artistes, et je dois avouer que la plupart ne se prennent pas pour de la merde.
Je salue le billet récent, au passage, de Jean-David, sur les intermittents du spectacle : il s'agit d'une population tout à fait singulière, c'est le moins que l'on puisse dire....
Dans un autre livre consacré au fondateur du national-socialisme (Prénom : Adolf. Nom : Hitler) l'historien allemand Werner Maser écrit: "Hitler considérait ses fonctions de Führer et de chancelier du Reich, la politique et la puissance politique, comme de simples moyens pour réaliser ses idées artistiques". Avant d'être orateur, politicien, soldat, chef de guerre ou de parti, poursuit-il, Hitler fut (ou voulut être) d'abord un artiste. Les valeurs qui gouvernaient sa vision du monde étaient des valeurs "esthétiques" - d'une esthétique qui lui appartenait. Le but suprême de l'action politique n'était pas pour lui la réalisation du bien commun, mais une entreprise "totale" où la plus sombre idée de la beauté rejoignait le plus féroce désir de grandeur"
C'est en cela, affirme Fest, que Hitler fut "un personage inhumain, capable d'harmoniser, sans la moindre trace de conflit moral, des notions parfaitement inconciliables".
La citation d'AdB me semble, par ailleurs, fort pertinente.
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