13.9.06

Un peu de généalogie politique

Il y a quelques jours, je m’étais interrogé sur les raisons pour lesquelles le libéralisme du XVIIIe siècle avait engendré le socialisme. J’y reviendrai brièvement dans ce présent billet.


Dans le fond, la filiation libéralisme-socialisme découle de certains réflexes matérialistes révolutionnaires. La question de la propriété en est l'illustration. Que les révolutionnaires la rejetassent ou l'encenssassent, ces sentiments ambivalents constituaient au final les deux faces d'une même médaille, car ils en restaient à l'aspect économique, matérialiste, de la question, et non à l'aspect véritablement juridique. Je m'explique pour éviter tout malentendu sur le sens de mon propos.


D'après nombre de révolutionnaires, pour être libre (et, partant, citoyen), il fallait être propriétaire - les domestiques et gens de maison étaient, par exemple, exclus du registre politique. En d'autres termes, la liberté était - selon eux - fonction de la situation économique des individus. Cela contredit, au demeurant, le caractère jusnaturaliste des déclarations de 89 et suivantes. Entre parenthèses, les sans-culottes ne refusaient pas la propriété comme telle, mais en voulaient le partage - de même, aucun socialiste postérieur ne croira sérieusement à la suppression de la propriété, il s'agira toujours pour cette doctrine de réfléchir à qui sera propriétaire : la nation, les classes, l’État-Parti, etc. ? Cette approche doit être mise en parallèle avec la question démocratique de "qui gouverne". Au faîte de la dictature jacobine, Robespierre concevait, de son côté, une sorte de démocratie de petits propriétaires qu'il distinguait de la chimère (selon ses propres paroles en avril 1793) de l'égalité des biens (est-ce tellement éloigné de la pensée d'un Guizot qui, sous la monarchie de Juillet, souhaitait voir surgir un gouvernement des classes moyennes et en faire une conquête historique ?). Cette conception traversera tout le XIXe siècle... et aboutira à la théorie socialiste selon laquelle seuls les "possédants" sont réellement libres, quoi que promeuvent les "libertés formelles".


Dès lors, à trop s'attarder sur une supposée égalité propriété-liberté, les libéraux pré- et post-révolutionnaires ont facilité l'essor de la conception socialiste. Prétendre que seul est libre le propriétaire signifie que celui qui ne jouit pas de cette fonction économique est un esclave ou un serf. Il aurait fallu, au contraire, insister sur le droit de propriété plus que sur la propriété comme telle. Sur ce point-là, la politique révolutionnaire et libérale fut donc on ne peut plus concrète et refusa l'abstraction juridique, hélas !


Il aurait donc été bien moins funeste de rappeler que tout le monde n'est pas propriétaire et n'a pas nécessairement vocation à le devenir, mais que cela n'empêche évidemment pas que les individus soient naturellement investis de droits antérieurs à toute législation et à toute considération matérialiste. Or, en ne suivant pas cette dernière direction, la question de la propriété est devenue un instrument politique de répartition des biens, faisant et défaisant les citoyens selon le gré du "Peuple souverain".


Vu que les droits politiques sont devenus la pierre d’angle de la société - par la voie de la "souveraineté populaire" -, il en a été déduit dans la pratique que ceux qui n’ont pas voix au chapitre démocratique n’ont pas de droits. Quand ces individus se situent du bon côté de l’idéologie progressiste, elle se fera démagogiquement leur porte-voix, réclamant en leur nom de nouvelles garanties (les fameux "droits sociaux") ; mais lorsqu’il s’agit d’êtres dont l’existence est perçue comme un péril pour ladite idéologie, celle-ci s’efforcera de leur refuser toute qualité de sujets de droit. Vous trouverez matière à réflexion dans cet ancien billet.


Enfin, cet aspect du problème jette également quelque lumière sur certaines interprétations libertariennes du droit, établies sur un propriétarisme absolu... contre toute tradition juridique.

3 commentaires

Blogger RonnieHayek a écrit...
Merci à toi !
à 12:19 PM
 
Blogger Constantin a écrit...
Et un point Godwin, un !

Les arguments fétiches des adversaires du libéralisme sont d'un prévisible ces derniers temps. Enfin, il y a quelques mois, avant les insultes, nous avions droit à une argumentation maladroite, irrationnelle et mal documentée. L'avantage de la tactique actuelle est qu'elle renseigne mieux le lecteur sur la profondeur d'esprit des arguments antilibéraux.
à 1:21 PM
 
Blogger melodius a écrit...
Je salue la présence d'un con dans nos commentaires: on en reçoit tellement peu souvent ici...
à 6:08 PM
 

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