Mobilisation : terme clef de l'État moderne
Plus encore que la "liberté" collective des Anciens dont parlait Constant, la démocratie moderne a pour vocation à mobiliser l'ensemble de la population, et sans un seul moment de répit.Ainsi, les campagnes électorales ressemblent à autant de foires aux chimères ponctuées de cérémonies païennes dédiées à l'homme providentiel à la mode. Difficile d'y échapper, sauf en s'isolant complètement de la vie sociale. Voilà le drame d'aujourd'hui : les individus ne peuvent plus se consacrer pacifiquement à leurs occupations; ils deviennent des créatures politiques bon gré mal gré. D'art réservé à quelques monarques et conseillers plus ou moins compétents et habiles, la politique est devenue depuis deux siècles une machine à mobiliser les hommes dans des projets utopiques ou mégalomoniaques et à les écraser quand ils ne servent plus ou lorsqu'ils ont le malheur d'être dans le camp perdant.
Un événement a rendu possible ce retournement : la Révolution française. De lointain qu'il était, l'État a été métamorphosé en organisation proche, englobant violemment tout un chacun, soutiens fervents comme récalcitrants. On le sait, la Volonté générale des révolutionnaires ne tolèrant pas, par définition, la "tiédeur", réduisit au silence ceux qui ne se reconnaissaient pas en elle. Pour tenir sous son talon de fer la population, un régime révolutionnaire doit ensuite forger un langage à double fond afin qu'un mot ne veuille plus dire ce qu'il était censé exprimer. Le mot "impôt" fut ainsi remplacé par l'expression "contribution publique", afin de convaincre la population qu'elle consentait désormais à sa tonte fiscale. L'individu de chair et de sang étant renvoyé dans les ténèbres obscurantistes, le voilà enrôlé comme citoyen. Orienté vers l'idée d'un Tout-politique, ce projet ne pouvait que se traduire en termes de "eux" contre "nous", d'où la naissance du nationalisme belliqueux (autre création des progressistes) - le Bureau de l'Esprit public, créé en 1792 par le Ministre de l'Intérieur Roland (le mari de la célèbre Girondine qui s'écriera au pied de l'échafaud : "Ô Liberté, que de crimes on commet en ton nom !"), travaillant au bourrage de crânes.
Cette époque a ouvert l'ère funeste de la "mobilisation totale" (E. Jünger) et, par conséquent, du totalitarisme... sorti - on ne le répètera jamais assez - de la matrice démocratique.
La différence, au final, entre l'Ancien Régime et l'époque démocratique est qu'il était - dans le premier cas - relativement aisé de s'extraire mentalement et socialement des batailles entre factions, voire de n'y prêter aucune attention durant toute sa vie : la vie de famille et la nécessité de nourrir celle-ci suffisaient amplement à rythmer et occuper les journées d'un individu. En revanche, de nos jours, la politique est d'autant plus présente dans nos existences que la société de loisirs est devenue le nouveau paradigme social et que l'hédonisme du "moi je" triomphe. Dès lors, les esprits vacants sont d'autant plus disposés à accueillir un discours-langue de bois qui fera d'eux le centre du monde, autrement dit le médicament dont Big Brother a besoin pour continuer à vivre... tout en prétendant qu'il est, lui, le remède miracle ! Ils adhèrent à cette idole comme la chair adhère au squelette.
Concevoir l'Histoire comme une marche irrésistible vers le Progrès conduit à faire de l'homme un loup pour l'homme et un fantôme pour lui-même.
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