3.12.06

L'infâme est-il l'avenir de l'homme ?

Il existe une vulgate "libérale", version abâtardie de l'individualisme libéral, suivant laquelle tant qu'un acte est volontaire, tout va très bien, madame la marquise. Pourtant, il devrait être évident que cette "théorie" pour le moins chétive et vacillante n'a que peu à voir avec l'éthique libérale bien comprise, qui suppose un respect par chacun de nous des droits de son prochain. En effet, je ne sache pas que mettre le feu à la maison de quelqu'un, par exemple, constituerait la quintessence morale du libéralisme, à moins que ceux qui professent cette version n'y ait eu accès qu'au travers des inepties antilibérales d'alter-pouilleux.

Un récent débat sur l'eugénisme qui s'est tenu sur mon forum préféré vient de l'illustrer. Certains amis libéraux trouvent irréprochable - voire moralement sain, au nom du Progrès et de la Science... - le projet eugéniste, du moment qu'il n'est pas pris dans les serres étatiques. Or il est premièrement illusoire de penser qu'un tel programme ne serait pas appliqué par nos riants gouvernements sociaux-démocrates. Leurs prédecesseurs l'ont déjà fait il y a quelques décennies ; je ne vois pas pourquoi les décideurs politiques actuels s'en priveraient. Surtout lorsque l'on voit un certain médecin UMPiste faire l'éloge de la Chine en ce domaine...

Notons deuxièmement qu'en isolant le choix des parents comme critère principal, les partisans de l'eugénisme commettent deux fautes : d'abord, ils font mine d'oublier que l'enfant a des droits naturels qui ne peuvent lui être ôtés pour cause de caprice parental. Au motif qu'il n'existait pas encore quand la sélection génétique a été programmée, ses géniteurs posséderaient donc le droit de faire ce qu'ils veulent, par exemple fabriquer un homme-éléphant destiné à être exhibé à la foire du Midi ? Bien sûr que non. Ensuite, les eugénomaniaques entretiennent la confusion entre liberté et émancipation (au sens progressiste du terme). La première attitude est devenue une routine progressiste bien rôdée : on se concentre sur les décisions de certains individus en oblitérant complètement que ces choix détermineront gravement le sort de tiers - cf. la question de l'avortement. La seconde laisse apparaître que cette volonté participe d'une révolte contre l'ordre du monde, refusant le fait que tout (en l'occurrence, la vie d'autrui) n'est pas un objet de la volonté humaine. En d'autres termes, le constructivisme totalitaire n'est pas loin.

Rejeton de ce tropisme constructiviste, l'eugénisme est une utopie conçue par des démagogues n'acceptant pas que les individus puissent être naturellement différents. Le raisonnement est à peu près le suivant : "Je ne veux pas que mon gosse soit moins brillant, moins talentueux, moins fort, que celui du voisin. Donc, je dois empêcher le travail de la nature, qui risque de se montrer injuste à mon égard." De manière totalement arbitraire, on décrète ensuite que certains individus valent moins que d'autres parce que leurs gènes sont moins bons; c'est le vieux cauchemar de "l'homme nouveau" qui se profile à l'horizon. Cet être que Trotsky appelait de ses voeux en des termes aussi clairs que délirants : "L'homme sera beaucoup plus fort, beaucoup plus perspicace, beaucoup plus fin. Son corps sera plus harmonieux, ses mouvements plus rythmiques, sa voix plus musicale. La moyenne humaine s'élèvera au niveau d'Aristote, de Goethe, de Marx. Et au-dessus de cette crête de montagnes s'élèveront de nouveaux sommets." Allié naturel du socialisme, l'eugénisme repose donc plus ou moins secrètement sur l'envie. D'ailleurs, est-ce un hasard si de nombreux Etats socialistes ou sociaux-démocrates l'ont pratiqué ? L'exemple le plus connu étant, bien évidemment, l'eugénisme nazi. Pour préserver un semblant de respectabilité à leur projet, les partisans actuels de l'eugénisme refusent, évidemment, que leur entreprise soit comparée à celle des nationaux-socialistes.

Pourtant, l'économiste Ludwig von Mises notait avec une grande fermeté logique et morale dans son Planned Chaos : "It is vain for the champions of eugenics to protest that they did not mean what the Nazis executed. Eugenics aims at placing some men, backed by the police power, in complete control of human reproduction. It suggests that the methods applied to domestic animals be applied to men. This is precisely what the Nazis tried to do. The only objection which a consistent eugenist can raise is that his own plan differs from that of the Nazi scholars and that he wants to rear another type of men than the Nazis. As every supporter of economic planning aims at the execution of his own plan only, so every advocate of eugenic planning aims at the execution of his own plan and wants himself to act as the breeder of human stock."

(NB : merci à Xav d'avoir pêché cette citation remarquable.)

Les partisans de l'eugénisme ne trouvent pour toute réponse qu'une assimilation de leurs contradicteurs à de sinistres obscurantistes qui rêvent d'enchaîner l'humanité - quand ils ne recourent pas au sentimentalisme con-con du chantage au "progrès médical" (lequel n'a rien à faire dans l'histoire sinon à servir de cache-sexe).

Il ne faut pas se laisser intimider par ce genre d'argumentaire.

Délivrer l'homme de sa nature, c'est en faire un rat de laboratoire. Et ceux qui commettent cet acte sont autant des "libérateurs" que l'assassin qui "s'émancipe" du droit en tranchant la gorge de son prochain.

Je conclurai sous la forme d'un avertissement : être libéral ne met personne à l'abri de la tentation totalitaire. Il est trop commode de croire que parce que l'on adhère à un corpus d'idées justes et fondées, nous serions ipso facto blindés contre le mal. Ce fut l'erreur de certains libéraux il y a deux siècles. J'espère que ce ne sera pas celle de leurs successeurs au XXIe siècle.

3 commentaires

Blogger Unknown a écrit...
Bon billet. Mais je pense que la question ne se posera pas. En effet, le jour où l'eugénisme sera réellement possible, i.e. qu'on pourra, à la conception, choisir le cariotype complet d'un humain et lui insérer des gènes ou lui en retirer à volonté, il sera aussi possible (parce que c'est techniquement du même ordre de complexité) de faire cette modification génétique post-naissance, et (pourquoi pas) bien plus tard, alors que l'individu est conscient et en mesure de déterminer par lui-même s'il veut ou non de ces modifications.

En clair, le jour où l'on pourra techniquement choisir que son enfant fera 2m, sera blond et aux yeux bleus, résistant au SIDA ou que sais-je avec une certitude de résultat, il sera aussi possible d'obtenir le même résultat avec la même fiabilité à partir d'un enfant né depuis 18 ans.

Enfin, c'est mon intuition... Je me trompe peut-être lourdement, mais je ne pense pas : les récentes avancées en nanotech par exemple tendent à accréditer cette vision des choses.

Soyons vigilants. Si le pire est possible, il n'est pas non plus certain ;)
à 2:33 PM
 
Blogger RonnieHayek a écrit...
@ Ronibéral : merci beaucoup !

@ h16 : le Ciel t'entende ! J'aimerais vraiment partager ton optimisme, mais lorsque des hommes disposent d'un pouvoir exorbitant sur autrui, le pire est toujours à redouter, voire reste l'hypothèse la plus vraisemblable.
à 5:49 PM
 
Blogger Unknown a écrit...
Je noterai simplement que la fusion thermonucléaire a failli bien des fois signer l'arrêt de mort de toute l'humanité. Pour le moment, nous avons évité le pire.

Il reste tout de même, dans ce monde, pas mal de raisons d'être optimiste, ou, tout du moins, de ne pas verser dans le pessimisme systématique. Non ?
à 8:16 PM
 

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